Michel Pezet, Une vision de la culture sur le temps long
propos recueillis par Gilbert Ceccaldi, à son cabinet d'avocat
Après avoir cherché ses coordonnées sans succès, j'ai fini par envoyer un mail à son cabinet d'avocat et obtenu très rapidement une réponse avec une proposition de rendez-vous.
Michel Pezet a une longue carrière d'homme politique, à la fois au sein de la Ville de Marseille, en tant que responsable de nombreuses délégations dans le milieu culturel lors du dernier mandat de Gaston Deferre, au Département sous la Présidence de Jean-Noel Guérini et à la Région, comme Président entre 1981 et 86.
Comme lors de tous les entretiens, je lui présente la démarche et il me demande à partir de quelle date je compte démarrer le récit. J'explique que la période a évolué au cours des entretiens : au départ, il s'agissait plutôt du dernier demi siècle et à présent, plutôt depuis la seconde guerre mondiale.
« Beaucoup d'édiles se sont préoccupés de la question culturelle à Marseille et du rôle joué par la ville. Un point de départ intéressant, sans forcément juger du rôle qu'elle a joué, serait de partir de la fondation de l'Académie de Marseille. À une époque encore plus ancienne, Marseille était considérée comme une nouvelle Rome. mais ce serait vraiment une analyse historique. L’initiative de Monsieur PAYAN de faire distribuer un livre sur l’histoire de Marseille, aux enfants des écoles, me parait être une excellente initiative.
On ne peut pas avoir sur Marseille une réflexion faisant abstraction de son histoire et il est important de prendre en compte d'une part l'avis des historiens, d'autre part les personnages politiques ayant joué un rôle dans son développement, en particulier les adjoints comme Marcel Paoli, ou Jean Goudareau dont j’étais éloigné politiquement mais qui s'est battu contre Gaston Deferre pour la sauvegarde du port antique et est même allé jusqu'à démissionner pour signifier son désaccord.
L'histoire de la culture à Marseille à également été portée par des artistes importants, dans tous les domaines ainsi que par des mécènes.
Je pense par exemple à la Comtesse Lily Pastré et à ses actions de mécénat à Marseille et à Aix et au rôle qu'elle à joué pendant la guerre en hébergeant des artistes juifs. Ou au sculpteur Jules Cantini. Ces personnalités ont forgé la ville. D'autres également : comment ne pas souligner des chorégraphes comme Joseph LAZZINI, Roland PETIT, Rosella HIGHTOWER…Les grandes expositions des musées de MARSEILLE Des expériences, des réflexions, des réalisations ont éclaté un peu partout. De même, on peut se demander pourquoi Albert Londres à écrit ce qu'il a écrit sur cette ville.
La cohérence entre toutes ces actions n'existe pas instantanément, mais je crois qu'elle se dévoile dans le temps et en lien avec la situation de la ville, au sein de la Méditerranée.
Pour en rendre compte, il faut mettre en ordre une masse considérable d'informations.
c’est par mon père que j’ai découvert que la saison de l’opéra s’ouvrait depuis sa reconstruction par une représentation de Sigurd d’Ernest REYER. Je suis heureux de relever que la prochaine saison s’ouvrira par cette œuvre.
Lors d'un entretien, la Directrice des Archives Municipales m'a signalé qu'il y avait eu très peu de dépôts officiels d'archives de responsables de la culture à Marseille. Ce que confirment mes recherches sur le théâtre Toursky avant l'arrivée de Richard Martin, en particulier sur la période où il a été confié au TQM.
Le TQM était installé rue Montgrand dans un lieu devenu aujourd'hui une Synagogue. Rue Grignan, il y avait également le théâtre Massalia au premier étage, dans la cour située derrière le marchand de vêtement « Equateur ». Ce théâtre était tenu par un personnage extravagant : Mme Vezzani, fille de César Vezzani, un des plus grand ténors de son époque. J'ai connu ce théâtre à l'époque de la compagnie des quatre vents, qui avait été fondée par Monsieur Gaston MORIN… et il a aussi la compagnie du Rideau Gris (André ROUSSIN)… Très important à Marseille – les compagnies de théâtre amateur étaient importantes. Comment ne pas se souvenir de Victor Bernus, qui produisait chaque semaine le samedi après-midi, une représentation du théâtre classique en rapport avec les enseignants qui traitaient ces textes dans les lycées.. Il y a eu aussi la Compagnie du rideau Gris, aujourd'hui complètement tombée dans l'oubli, mais qui a joué un rôle très important à Marseille.
Cette tendance à oublier son patrimoine est une vraie catastrophe à Marseille. Même la Chambre de Commerce brade ses collections. Comment imaginer que la ville n'a pas d'histoire ? Sans son histoire, Marseille n'existe pas.
Donc, rue Mongrand, à l'emplacement de la synagogue, il y avait une salle où à été fondé le TQM. J'ai débuté dans un cabinet d'avocat qui en était voisin.

À cette époque on trouvait dans la ville de nombreuses salles situées dans toutes sortes de lieux. Boulevard Salvator, une professeur de piano habitait une grande maison dans laquelle elle organisait des concerts. La société de musique de chambre était installée dans les amphis de la fac de médecine...
Ces nombreuses expériences personnelles ou associatives ont contribué à la grande richesse de cette ville. Elles généraient un climat global qu'on ne nommait pas encore action culturelle, du fait de sa forte composante Education Populaire, elle-même liée au travail de certains partis, notamment le Parti Communiste.
La volonté d'inscrire la culture dans l'histoire de Marseille a été portée pendant longtemps par la bourgeoisie (comme dans de nombreuses grandes villes), puis par des responsables de l’éducation populaire. Le rôle autant du conservatoire que l’école des Beaux-Arts sont à souligner aussi également..
Gaston Deferre m'avait confié des délégations en matière d'art et de culture, j'ai toujours fait en sorte de respecter les responsabilités de Marcel Paoli qui était un très bon élu à la culture. En 1974, nouvellement élu à la Région, j'ai créé l'Office Régional de la Culture et on a commencé à développer une action culturelle sur Marseille et la région en essayant de lui donner une cohérence par disciplines - musique, théâtre, patrimoine, etc.- et en distinguant l'aspect formation. Donner à la culture sa dimension sociétale d'expérience sensible collective. L'idée était aussi de montrer qu'il y avait une économie de la culture.
Quels sont, selon vous, les événements les plus marquants ? Que pensez-vous de l'Orient des Provençaux par exemple ?
L'orient des Provençaux, je l'ai lancé lorsque j'étais délégué aux archives, en lien avec le directeur des archives Arnaud Ramière de Fortanier et Edmonde Charles-Roux. Avec cet événement, nous voulions mettre en avant la grande diversité dans la peinture, la musique, l'écriture, la poésie, etc. Et tenter de relier le tout pour donner un sens à cette ville.
Les pratiques étaient alors très individualisées, ceux qui allaient à l'opéra n'allaient pas au théâtre, ce qui allaient au théâtre n'allaient pas assister à des ballets. L'idée avec l'Orient des provençaux était d'organiser un événement qui intéresse tout le monde. c’était aussi de reprendre l’idée des références aux grandes expositions de peinture qui étaient organisées soit à Cantini, soit aux Beaux-Arts.
Lorsque j'étais à la Région, je voulais créer un grand fichier des spectateurs et visiteurs pour diffuser l'ensemble des programmes à tout le monde en espérant croiser les publics et lutter contre la segmentation des pratiques.
Nous avions interrogé les responsables culturels de l'Opéra, des musées, des théâtres, etc. en leur demandant ce qu'ils pouvaient organiser en lien avec le thème proposé. Cette opération permettait ainsi de croiser les publics de chaque programmation.
Marseille est une ville Napoléon III, avec des constructions monumentales : la Basilique Notre Dame de la Garde, la Préfecture, le percement de la rue de la République. Je voulais également faire une grande opération sur ce thème, mais je n'y suis pas arrivé.
Avec le Conseil Général, j'ai soutenu une opération arts de la rue : L'année des 13 lunes qui s'est tenue dans 13 villes du département et a permis de faire circuler les publics entre les villes d'accueil.
Pour la Capitale Européenne de la Culture, étiez-vous toujours au Département ?
Oui, j'étais Vice-président de l'association, mais j'ai le sentiment d'un échec, car ce qui a manqué sur cet événement comme sur d'autres qui ont suivi, c'est une grande réflexion commune. Faute de lien et de cohérence, sans réelle coopération entre acteurs, le projet s'est transformé en une addition de choses rapportées. »
Lors de plusieurs réunions à la Friche, Bernard Latarjet nous a beaucoup parlé de projets en partenariat, d'action collectives, ce qui aurait nécessité l'organisation de réunions préparatoires, d'échanges de rencontres pour susciter un espace coopératif. Et finalement ils ont lancé un appel à projet, ce qui a engendré un espace concurrentiel, c'est à dire exactement le contraire de ce qu'il aurait fallu faire.
Oui exactement, de ce point de vue là, c'était un échec et je ne suis pas sur que Bernard Latarjet était l'homme de la situation, il était beaucoup trop rigide et distant. Les tentatives suivantes avec Capitale Européenne du sport et MP 2018 quel Amour n'on pas fait mieux.
il convient aujourd’hui de réfléchir sur l’évolution des pratiques culturelles. La municipalité ne fait pas l’impasse et elle a raison sur les nouvelles musiques, les arts graphiques. Il ne faut pas imposer en ces matières mais souligner qu’elles sont aussi le produit de la culture plus ancienne, plus classique. MARSEILLE a sur ce point un très beau rôle à jouer.
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Commentaires
C’est passionnant ! Merci pour cette initiative qui va bien nous rafraîchir la mémoire…